La loi n° 2022-270 du 28 février 2022 pour un accès plus juste, plus simple et plus transparent au marché de l’assurance emprunteur, dite loi Lemoine, a été publiée le 1er mars 2022, avec ses trois mesures phares, qui vont révolutionner le monde de l’assurance-emprunteur.
L’achat immobilier est souvent l’objectif d’une vie et l’assurance emprunteur concerne près de sept millions de français. Le marché de l’assurance emprunteur est évalué à près de 10 milliards d’euros de cotisations par an.
En quoi consiste l’assurance emprunteur ?
L’assurance emprunteur est une assurance garantissant la prise en charge de tout ou partie des échéances de remboursement ou du capital restant dû d’un crédit en cas de survenance d’événements aléatoires.
Ces événements peuvent être de toute sorte : décès ; handicap ou encore perte d’emploi. Aucune disposition légale n’impose la souscription à une telle assurance, même si y souscrire est fortement recommandée voire indispensable. Le plus souvent, la souscription d’un contrat d’assurance est une condition d’octroi du prêt, situation dont les banquiers peuvent abuser.
Cette souscription a de lourdes conséquences pour les consommateurs, lesquels peuvent rapidement être en position de faiblesse face aux géants des banques.
Depuis 2001, la lente mais certaine protection des consommateurs. Une protection de plus en plus importante a été mise en place pour les consommateurs.
Une démarche récente de protection des consommateurs.
La loi du 11 décembre 2001 portant sur les mesures urgentes de réforme à caractère économique et financier, plus connue sous le nom de loi Murcef, a mis en place une législation visant à interdire aux banques la possibilité de vendre un prêt immobilier associé systématiquement à une assurance, sans laisser le choix au consommateur de chercher lui-même un autre assureur.
Renforcée par La loi « pour le développement de la concurrence au service des consommateurs » dite loi Chatel, votée le 3 janvier 2008 a créé l’article 136-1 du Code de la consommation, désormais abrogé.
Cet article consacre l’obligation des assureurs à rappeler la date limite de résiliation du contrat en même temps que l’envoi de l’avis d’échéance.
« Art. L. 136-1. − Le professionnel prestataire de services informe le consommateur par écrit, au plus tôt trois mois et au plus tard un mois avant le terme de la période autorisant le rejet de la reconduction, de la possibilité de ne pas reconduire le contrat qu’il a conclu avec une clause de reconduction tacite (…).
Lorsque cette information ne lui a pas été adressée conformément aux dispositions du premier alinéa, le consommateur peut mettre gratuitement un terme au contrat, à tout moment à compter de la date de reconduction (…) »
La liberté de choisir l’assurance de prêt a été rappelée le 1er juillet 2010 par la loi Lagarde. Le client n’est plus dans l’obligation d’accepter le contrat d’assurance de groupe présenté par la banque prêteuse. Outre, le choix de l’assureur, la loi Hamon, en vigueur depuis 2016, est venue renforcer les droits des consommateurs en permettant la résiliation de l’assurance pendant la première année de remboursement de son prêt, à condition de respecter un préavis de 15 jours pour l’envoi de la lettre de résiliation.
Passée la première année, la loi Bourquin du 22 février 2017 permet à tout emprunteur de souscrire une assurance de prêt autre que celle de sa banque et de changer à chaque date anniversaire. Il faut respecter un préavis de 2 mois et souscrire une nouvelle offre avec des garanties égales ou supérieures. Il s’agit de notre régime juridique actuel : résiliation à tout moment durant la 1ère année, puis à la date anniversaire.
Cependant, des inégalités, le plus souvent sociales, persistent. Selon M. Pascal Allizard (Les Républicains) :
« Tous les emprunteurs ne se trouvent pas sur un pied d’égalité, les emprunteurs parvenant à faire appliquer leur droit de mise en concurrence sont souvent des cadres. Les ménages les moins aisés, soucieux d’obtenir leur crédit ainsi qu’un taux attractif, peuvent être contraints d’accepter l’offre de la banque ».
La volonté d’aller encore plus loin par l’adoption de la loi « Lemoine »
Toujours motivé par la volonté d’offrir une meilleure protection aux consommateurs, la Loi « pour un accès plus juste, plus simple et plus transparent au marché de l’assurance emprunteur », portée par la députée Patricia Lemoine (groupe Agir) dite la Loi Lemoine a été pibliée au Journal officiel le 1er mars 2022.
Cette loi apparaît comme encore plus protectrice du pouvoir d’achat des Français, sous réserve toutefois des décrets d’application. Cette loi contient trois mesures phares.
La résiliation infra-annuelle
Le texte voté ouvre la possibilité pour toutes les personnes ayant souscrit un crédit immobilier de résilier leur contrat d’assurance emprunteur à tout moment et sans frais. A ce jour, la résiliation était possible à tout moment durant la 1ère année, puis à la date anniversaire.
Désormais, et à compter du 1er juin 2022, la résiliation par le souscripteur sera possible à tout moment. La résiliation infra-annuelle ou le droit de résiliation à tout moment d’assurance de prêt était une demande de longue date des acteurs du marché. Elle permet notamment une mise en concurrence plus importante.
En effet, lors de la souscription de prêt immobilier, les banques proposent un tarif basé sur une mutualisation des risques.
Selon un rapport de 2020 sur l’assurance emprunteur réalisé par le cabinet Actélior pour le compte du Comité consultatif du secteur financier (CCSF), en 2019, 74,5% des contrats d’assurance emprunteur (en chiffre d’affaires) étaient des contrats groupes proposés par les banques. Depuis 2010, une baisse tarifaire entre 20 et 40% a pu être constatée. Cette amélioration, bien qu’évidente, n’en reste pas moins insuffisante.
A l’instar, certaines assurances externes mettent en place un tarif basé sur la couverture de l’assuré. Introduire davantage de concurrence dans le secteur bancaire permettrait in fine de baisser les coûts des banques, principalement celle qui détiennent 88% de part de marché. En effet, seulement 12% des assurés sont aujourd’hui couvert par un autre assureur que leur banque prêteuse.
Selon la députée Patricia Lemoine, cette loi devrait représenter « une économie potentielle moyenne entre 5 000 et 15 000 euros sur la durée du prêt ». Une mesure que la députée décrit également comme en faveur du pouvoir d’achat. D’un angle plus large, cette loi permettrait la possibilité de libérer 550 millions d’euros par an de pouvoir d’achat.
Le droit à l’oubli
Actuellement, le droit à l’oubli des personnes ayant souffert d’une pathologie cancéreuse est applicable en l’absence de rechute dans les 10 ans suivant la fin du protocole thérapeutique.
La loi adoptée consacre le droit à l’oubli des assurés ayant eu une pathologique cancéreuse ou à l’hépatite virale C au bout de cinq ans après la fin du protocole thérapeutique. Le délai diminue donc de 10 à 5 ans. Le droit à l’oubli reste néanmoins limité à des pathologies spécifiques.
S’il s’agit d’une avancée notable pour les personnes, une augmentation sensible des primes d’assurance est néanmoins redoutée. Tout comme l’attention du souscripteur devra être particulièrement vigilante sur les définitions des termes des conditions générales et de ses exclusions.
La disparition du questionnaire médical lorsque la quotité assurée est inférieure à 200 000 euros et que le terme intervient avant le soixantième anniversaire de l’emprunteur
Selon le sénateur Daniel Gemillet « si vous êtes en couple, cela fait 400 000 euros. » Ainsi, toutes les personnes souffrantes notamment de maladie cardiaque, psychique, respiratoire ne se verront plus opposer de surprime, ou un refus d’assurance.
Les victimes gravement accidentées, présentant des paralysies, tétraplégies, lésions médullaires n’auront plus à remplir de questionnaire. Cette avancée fait néanmoins redouter des effets pervers.
Les effets pervers redoutés de cette loi visant à favoriser l’emprunt pour tous
Si un lourd contentieux relatif au questionnaire médial devrait disparaitre, reste néanmoins d’importants doutes. Comment les assureurs apprécieront ils le risque à venir ? Rappelons que le contrat d’assurance est un contrat aléatoire, l’aléa constituant l’élément central du contrat.
Or, au terme de l’article L121-15 du Code des assurances, toute convention est nulle, faute d’aléa.
On peut donc légitimement s’interroger sur les nullités qui pourraient être opposées pour défaut d’aléa, notamment par le biais d’enquête privée ou sur l’insertion de certaines clauses. Ainsi, sous le bénéfice de ne demander aucun questionnaire médical, certaines clauses d’exclusion de garantie pourraient être ajoutées.
Prenons l’exemple du tabac : traditionnellement, le tabagisme devait être déclaré lors de la souscription de la police d’assurance et entraînait une surprime. Dès lors qu’il n’a plus à être déclaré, logiquement les supprimes devraient disparaître.
Or, le manque à gagner pour les assureurs devra nécessairement être compensé. Ainsi, l’assureur pourrait compenser l’absence d’information par des cotisations plus élevées, ou par d’avantage de clauses d’exclusion de garantie.
En tout état de cause, nous serons amenés à étudier rapidement les effets bénéfiques et pervers de cette loi, puisqu’elle rentrera en application au 1er juin pour les nouveaux contrats et au 1er septembre pour les contrats en cours.